Bienveillance, respect Expérience de vie Reflexions

La dépression

Mon médecin faisait un suivi serré de mon cas sans que je m’en rende vraiment compte jusqu’au jour où il me proposa un arrêt de travail avec médication.  Je l’ai regardé éberluée qu’il me propose une telle alternative, moi ? En dépression ? J’étais que fatiguée.  Mais vraiment fatiguée. 

J’ai exigé de vérifier si ma fatigue n’était pas due à un mauvais fonctionnement de ma glande thyroïde ou physique ou sanguin, nommez-les ces raisons, j’en voulais une bonne.  Après les nombreux examens, le verdict de mon médecin demeurait le même. Avec le recul, j’ai pu vraiment saisir l’importance de ma détresse sans mot. 

Accepter l’arrêt

J’ai accepté l’arrêt de travail mais pas la médication, je me disais que si je prenais un mois à me reposer, je retrouverais rapidement mes forces.  Je mangerais mieux, je ferais des grandes marches au grand air, surtout en pleine saison d’automne.  Mon médecin respecta ma demande mais tenait fortement à me rencontrer dans un mois, question d’évaluer ma condition et un possible retour au travail.

Pendant ce mois, je dormais comme jamais j’ai pu dormir.  J’étais toujours persuadé que mon problème n’était que physiologique et non mental.  Mon frère a vécu une dépression et lui, c’était normal parce que voyez-vous, perdre son emploi, divorcer et faire faillite, qui ne broncherait pas d’un poil après autant d’épreuves ? Superman seulement, mais encore !  Alors que moi, j’avais toujours mon travail, mon amoureux et une assez bonne santé financière, je ne voyais vraiment pas pourquoi je pourrais me permettre d’être dépressive.  Jusqu’au jour où je suis allée déjeuner avec mon amie Josée.

Toast et gaufres

Nous étions au restaurant La différence.  J’avais faim pour deux choses et je n’étais pas capable de décider laquelle je prendrais pour mon déjeuner.  Hors donc, j’ai décidé de commander des toasts et des gaufres.  La serveuse me demande si je voulais mes toasts avant mes gaufres ou mes gaufres avant mes toasts ou encore mes toasts en même temps que mes gaufres. 

Désarrois total ! J’étais incapable de répondre, mon cerveau était encore au premier mot toasts.  J’ai regardé mon amie avec détresse, elle répondit pour moi.  Lorsque la serveuse fut partie, je me suis penchée vers mon amie et j’ai murmuré : « Mais, qu’est-ce qu’elle voulait dire ? »  Mon amie me réexpliqua la demande de la serveuse, lentement, très lentement, avec geste.  Ensuite, elle m’a dit simplement que je devais en parler avec mon médecin, quelle chance, mon rendez-vous suivait notre déjeuner.

Lorsque j’ai rencontré mon médecin, je lui ai raconté ma péripétie incroyable de mes toasts et des gaufres.  Sourire compréhensif.  Il me dit que, finalement, j’aurais vraiment besoin de médication, ça me permettrait de me concentrer et par ce fait, récupérer.  Il précisa qu’il me donnait la plus petite dose, coupée en deux.  J’étais soulagée, je déteste prendre des médicaments, ça nous rappelle que nous sommes malade et ça, je connais, je l’ai vécu pendant ma vingtaine.

Médication

J’ai commencé à prendre la médication mais, sans en parler à qui que ce soit, même pas à ma famille et encore moins à mon amoureux.  Je ne voulais surtout pas passer pour une personne faible qui a besoin d’une béquille.  Ca pris deux mois avant que j’informe mon conjoint, j’avoue que nous ne restions pas ensemble, il m’était donc plus facile de cacher ma prise de médicament. 

J’ai suivi une petite thérapie avec une travailleuse sociale, environ trois rencontres mais quelles rencontres !  Le travail était intense, j’ai beaucoup pleuré et pris conscience de la source de mon épuisement.  Après cinq mois, j’ai cessé la médication du jour au lendemain sans en parler à mon médecin, j’étais tannée d’être dans la brume et de perdre des souvenirs, la semaine suivante fut très pénible physiquement et psychologiquement.  Conseil : ne pas arrêter sans sevrage certaines médications !

Sentiment

Voyez-vous, sur le coup, lorsque mon médecin m’a annoncé que j’étais en dépression, j’avais honte.  Encore aujourd’hui, il y a des gens qui jugent les personnes qui subissent une dépression. J’ai bien dit, subissent !  On n’achète pas de dépression à l’épicerie, on l’a subit parce que nous avons été au-delà de nos limites permises par notre personne, notre moi.  Pour le travail, pour l’amour, pour la famille ou pour toutes autres raisons, nous avons passé outre les avertissements, au mépris de notre propre sécurité, de notre propre bien-être.

J’ai appris à faire mon terrain de jeu.  Ce lieu où je suis en sécurité et si je dépasse mes limites, mes bornes, je me mets en danger.  Le fait d’avoir vécu une dépression m’a amené à poser un système d’alarme aux limites de mon terrain de jeu.  Dès que je pousse, sans penser à moi, une alarme sonne en moi.  Un malaise s’installe, un mal-être.  Alors, je recule dans mon terrain, de préférence au centre, je m’assoie et j’analyse le pourquoi de ce mal.  Et simplement, je l’élimine, pour ma santé, ma sécurité.  Aucun risque à prendre.

Apprendre

Ce dont j’ai compris de cette dépression, c’est que, je dois passer en premier.  J’apprends à m’aimer un peu plus chaque jour.  Je me découvre qui je suis, moi.  Je me respecte et surtout je m’aime.

Maintenant, lorsqu’on me parle de dépression, je suis ouverte et mon attitude a complètement changé, il n’y a pas de honte mais de la compréhension et de l’empathie. Et, j’encourage ceux qui naviguent dans les eaux troubles de la dépression, de consulter et de s’aimer avant tout.  De ne plus laisser personne mais je dis personne nous faire du mal, de la peine ou de nous abaisser pour quelle raison que ce soit ! Personne !  Respect de soi et amour de soi, voilà ma récolte de la dépression.

Je suis plus forte, oui mais également fragile, fragile à retomber, glisser est si facile quand on s’y en attend le moins !  Si je vous dis que je suis fatiguée, laissez-moi retourner au milieu de mon terrain de jeu, question de me recentrer et de reprendre des forces.  Par respect.  Simplement.  Et moi, par amour pour moi.

Et vous ? Avez-vous votre terrain de jeu ?

Renée L’Abbé
29 décembre 2011