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La terre cesse de tourner

Je peux vous affirmer qu’il est beaucoup plus facile de parler d’une maladie quand nous sommes rendus dans la phase « après ».  Pendant est toujours difficile parce que la terre cesse de tourner.

3 Mai 1995

Je découvre une tache rouge avec un point blanc, de la grosseur d’un vingt-cinq cents, vis à vis de l’omoplate gauche.

27 mai 1995

Je me rends compte subitement que la tache a commencé à changer de couleur.  Le point blanc est rendu brun-noir.  Le rouge est maintenant brunâtre.  Je panique ! 

Le 2 juin 1995

Dr Juneau examine attentivement la tache.  Je dois me présenter à la salle d’urgence le lendemain matin afin d’en faire l’ablation.  Commence l’attente.

24 juillet 1995

Je suis en vacances.  La secrétaire de mon médecin m’appelle et me demande de me présenter demain matin à 8hres.

Je sais ce qui se passe, je suis en état de choc.  Incapable de manger.  Je ne parle pas.  En larmes.  Pas moyen de me calmer.  Je SAIS, c’est tout.

J’ai vécu un événement extrêmement stressant en mai dernier, on dirait que ce dernier est l’élément déclencheur.  Une de mes employées a volé.  Je l’ai pris personnel.  Je me suis mise à haïr cette femme, vous n’avez même pas idée.  J’avais une maxima 91 que j’aimais beaucoup et j’en prenais soin comme les gars le font avec leurs bébelles.  Ben, imaginez-vous, que j’étais prête à l’écraser avec ma voiture si je la rencontrais.  Haïr ? Oh que oui !  Mais.

25 juillet 1995

La terre cesse de tourner.  Le diagnostic est un mélanome de type 2, le même que le ministre Bourassa, mais moi, je n’ai pas eu à attendre que la crise d’Oka se termine pour me faire soigner.  Je suis de marbre.

Mon patron m’offre d’arrêter de travailler mais je refuse.  Je DOIS occuper mon esprit.  Même si j’ai fait tout plein d’erreur pendant cette période, jamais, jamais il ne m’a remis sur le nez quoi que ce soit.

Commence la période « hôpital ».  L’oncologie.  Remise du petit carnet pour inscrire tes rendez-vous.  Tu es là pour un bon bout, mieux vaut te préparer et t’y faire.  Le personnel est d’une gentillesse, un léger baume sur ma plaie.

À un moment donné, je vois les voisins de la rue en face, des « BS », les pires, le premier du mois, caisses de bière et dealer entre, les enfants sont maigres, blancs.

« Pourquoi c’est moi qui a le cancer ? Pourquoi pas eux qui font rien dans vie et qui ne prennent même pas soin de leurs enfants ? »

Le mérite

Stop. Mouvement de recul.

« Qui suis-je pour décider qui peut ou non avoir le cancer ? J’ai compris.  Personne.  Personne ne mérite d’être malade sur cette terre.  La maladie ne devrait tout simplement pas exister. »

Mea-culpa.  J’ai jugé.  Sans comprendre.  J’ai demandé pardon à l’univers et, surtout, à moi-même.

Période d’examen.  On te passe tous les examens; écho, scan, rayon X, prises de sang.  Parce qu’un mélanome, c’est un cancer très sournois.  Je suis dans un mauvais film d’extra-terrestre.  Chirurgie prise 2 pour effectuer une « marge d’erreur » qui consiste à enlever environ 2 pouces tout le tour et en profondeur  de la cicatrice initiale qui a déjà 1 pouce.

19 août 1995

Horrible! De un, pas assez gelée, je sentais le bistouri me charcuter.  Une douleur insoutenable.  Je voulais mordre !  Résultat : je pouvais mettre un pamplemousse dans le trou dans mon dos.  Traumatisant.

L’Attente.  Les résultats vérifiés deux fois plutôt qu’une.

J’ai détesté cette période d’attente.  Je ne savais pas où je m’en allais.  Personne ne pouvait m’aider.  À part, peut-être.  Moi.

Tourner mon regard vers moi

Un travail d’introspection.  Pourquoi ce mal ?  J’ai avoué que le vol de mon employée, a été pour moi, comme un coup de poignard dans le dos.  Où est ma blessure ? Vis à vis de l’omoplate, près du cœur.

J’ai compris que, dans mon cas, si je voulais mettre toute les chances de mon côté pour guérir, je me devais de pardonner.  Pardonner à cette dame que j’ai tellement haïe.  Me pardonner à moi, d’avoir été capable d’haïr avec autant de force.  Faible ? Oui.

Le 20 septembre

Rencontre avec l’oncologue et le dermato.  Ils examinent mes résultats.  J’ai les mains moites en tenant ma liste de questions.  Ils vérifient une 2e fois.

Ils me sourient.

Je ne comprends pas.

L’oncologue prend la parole : « Vous êtes guérie! ».

Je ne comprends pas, ça fait des mois qu’on me dit que je vais avoir des traitements, que je vais être malade !

Il répète : « Madame, vous êtes guérie ! ».

Mais, je ne comprends toujours pas, j’ai les yeux plein d’eau, il se trompe de dossier !

Et là, il me fait son plus beau sourire et me dit encore une fois : « Madame L’Abbé, vous êtes guérie ! »

J’éclate en sanglots. Les 2 infirmières aussi.

« Mais ? Comment ça ? »

Il m’explique : « Votre médecin, Dr Juneau, a réagis rapidement lors de la première ablation et, il en a enlevé plus que pas assez. Lors de la « marge d’erreur », le pathologiste n’a trouvé aucune cellule cancéreuse.  Vous êtes en rémission pour 8 ans. »

Je pleure à chaudes larmes.

L’infirmière me flatte le dos en pleurant et me dis : « Une autre de sauver, c’est une joie pour nous tous ! »

La terre a recommencé à tourner… pour moi… merci la vie !

Je me considère comme l’une des personnes les plus chanceuses de la terre.  Je vis ma vie comme si chaque journée était la dernière, intensément, passionnément.

Vous me trouvez trop passionnée ? Ben voyons !  Vous ne voyez que le sommet de l’iceberg.

J’ai tombé sur le cul quelques fois encore.  Mais, je garde ma position.  Debout, la tête haute ! Regardez-moi bien aller !

Renée L’Abbé
3 février 2011